Je suis arrivé en Italie avec 150 € en poche. Personne ne m’attendait à l’aéroport.

C’est mon ami Steve qui m’avait prêté une partie de l’argent quand je quittais l’Ukraine.
Notre vol avait atterri dans la nuit vers 23 h et une fois sorti de l’aéroport il n’y avait plus de bus pour me transporter jusqu’à la gare où je devais prendre le train pour la ville de Parme.

La seule option qui me restait était le taxi. Mais je ne pouvais pas m’amuser à le prendre vu mon budget.
Après quelques minutes de réflexion, j’ai repéré des personnes comme moi qui cherchaient un moyen de rejoindre la gare de Milano Centrale.
Je leur ai proposé de prendre un taxi ensemble et de se partager les frais. Une seule personne a accepté le deal. Un jeune étudiant égyptien.

Une fois à la gare de train, j’étais perdu. 
Entre l’achat du ticket et la recherche du quai, mon train pour Parme est parti sans moi.
C’était le dernier. 

J’étais donc résigné à dormir à la gare.

J’ai failli devenir arbitre juste pour payer mon loyer

Je n’aimais pas le football, mais j’ai failli devenir arbitre rien que pour payer mon loyer.

Fin 2013, je regarde mon compte bancaire et je prends conscience qu’il me faut une entrée d’argent supplémentaire.

J’étais en 2ème année de DUT à Grenoble et malgré les deux bourses que j’avais eues, mes prévisions budgétaires me disaient que je ne pouvais pas tenir jusqu’à la fin de l’année, et surtout la bourse n’était pas garantie l’année suivante.

Je fais un CV et je candidate à tous les jobs étudiants qui bougent : fast-food, hôtel, restaurant, supermarché, mairie.
Après l’envoi par mail et le dépôt physique de plus d’une vingtaine de CV sans succès, je décide de changer de stratégie. Je regarde du côté du sport.

En Europe, pour joindre les deux bouts, certains étudiants se transforment en arbitres dans les championnats locaux. Même si je n’aime pas le football, c’était accessible car c’est le seul sport dont je connaissais quelques règles. Je me suis donc lancé.

En fait, dans le département de l’Isère, pour être arbitre de football il fallait :

           - Avoir une licence avec une équipe du championnat

           - Avoir un diplôme du District de football de l’Isère

Chaque match était rémunéré d’une indemnité de 25 euros en plus des frais kilométriques allant de 20 à 40 euros par match en fonction de la distance. Le calcul était simple : arbitrer deux matchs par week-end et viser une indemnité de 40 euros minimum par match, et donc un revenu de 320 euros par mois. 

J’ai appelé le district le même jour pour savoir quels étaient les clubs à la recherche d’arbitres et, coup de chance, mon interlocuteur connaissait un coach à Saint-Martin-d’Hères qui recherchait un arbitre pour son club.
Quelques semaines plus tard, j’avais la licence du club et une inscription pour la formation d’arbitre. C’était un week-end ensoleillé dans un petit village de montagne de l’Isère.
En un week-end j’ai appris dans le détail toutes les règles du football. J’ai participé aux mises en situation et je suis rentré chez moi avec mon diplôme d’arbitre.

Il ne fallait plus qu’attendre le début de la saison pour faire deux stages avec des arbitres expérimentés et commencer à son tour à manger l’argent de l’arbitrage. Parce que pour dire vrai, ma seule motivation était l’argent. J’ai très peu d’intérêt pour le football.
Au final, je n’ai jamais mangé l’argent de l’arbitrage. En fait, en septembre 2014, j’ai dû changer de ville. J’ai quitté Grenoble pour Annecy. J’avais trouvé une bonne formation là-bas. Vous savez, pour le fameux diplôme.

Arrivé dans le monde de l’arbitrage par cupidité, j’y ai rencontré des personnes passionnées. Toutes ces personnes qui travaillaient comme bénévoles dans des associations de football dans tout le département. Ces personnes qui dédiaient une partie de leur vie à leur passion gratuitement.
J’en suis sorti avec des doutes sur la question de l’argent. J’y ai appris que le manque d’argent nous fait croire que seul l’argent doit guider nos choix. 

Mais peut-on donner le meilleur de soi quand on n’aime pas ?
En tout cas, aujourd’hui je peux dire que l’argent soulage, mais il n’inspire pas. Ce qui donne du sens, ce n’est pas ce qu’on gagne, mais ce qu’on apprend et ce qu’on construit en chemin.

BAC + 5 : La victoire inachevée

En 2017, je présentais mon rapport de stage de fin d’études dans mon université à Annecy.

Quelques années auparavant j’avais quitté mon pays pour aller étudier en Europe. Et finalement j’avais obtenu le fameux diplôme. Le Bac + 5.

C’était pour moi l’aboutissement de 6 longues années pendant lesquelles je courais nuit et jour entre job étudiant, vie sociale et études. Ce diplôme était la raison pour laquelle je supportais toutes les difficultés du quotidien. Je me disais souvent : “Raoul, le plus important c’est ton diplôme. Le reste là, c’est rien.”

Ce jour-là, j’étais content, je ressentais une petite sensation de liberté, un gros milestone comme on dit. Mais en même temps, j’avais la boule au ventre. En fait, mon titre de séjour devait expirer 3 mois après et je devais trouver une raison de squatter le territoire français.

Le Cameroun me manquait, mais malgré toutes les difficultés en France, je n’avais pas prévu de rentrer m’y installer. Je devais donc trouver une couverture pour ne pas me retrouver sans papiers.

Pour la petite histoire, tous les étudiants camerounais en France ont un titre de séjour étudiant. C’est ce document qui leur permet de rester légalement sur le territoire français. À la fin des études, ils doivent changer de titre de séjour.

Et c’est souvent là où l’acteur meurt dans son film. À la fin des études, chaque étudiant camerounais avait le droit de demander l’APS (Attestation Provisoire de Séjour). Un titre de séjour de 6 mois renouvelable une fois. Ce titre de séjour permettait de trouver du travail ou de créer une entreprise sous certaines conditions.

Le problème est qu’en tant que jeune diplômé, le monde du travail ne t’attend pas les bras ouverts et souvent 1 an ne suffit pas pour trouver un travail en lien avec ton diplôme ou créer une entreprise. Pour ne pas se retrouver en situation irrégulière, de nombreux étudiants se lancent dans des schémas compliqués.

Sans jugement !

J’ai vu certains gars faire 3 masters, d’autres se marier avec des gens qu’ils n’aimaient pas, ou bien même faire des enfants. Sans oublier les étudiants qui se transforment en réfugiés en fin de parcours.

En tout cas, beaucoup se compromettent. Renient leurs valeurs allant souvent même jusqu’à la déshumanisation pour avoir leurs papiers. Sur le coup, on ne réalise pas souvent l’impact de ces décisions pour la suite de nos vies.

Dans chaque parcours migratoire, il y a une violence silencieuse, une pression psychologique, un sacrifice et une solitude dont les histoires romancées des réussites des "mbenguistes" ne mentionnent jamais. Mais ces réussites sont elles synonymes d’épanouissement ? 

Aujourd’hui, avec du recul, je réalise que le visa étudiant n’était pas seulement un accès aux études universitaires. C’était une porte. Une porte vers l’inconnu, vers les choix difficiles, vers les compromis parfois douloureux.

Ce parcours m’a appris que l’exil n’est pas qu’une question de papiers, c’est une question de dignité, de résilience et de rêves qu’on refuse d’abandonner.

À tous ceux qui arrivent vers ce tunnel, je vous dis : tenez bon. Gardez vos rêves intacts. Ne laissez pas le système vous voler votre humanité. Et surtout, n’oubliez jamais pourquoi vous êtes partis. 


J’ai grandi au marché.

Après les cours, le week-end, pendant les grandes vacances scolaires : le marché était ma deuxième maison.

À partir de la classe de seconde c’était systématique. Temps libre signifiait pour moi présence à la boutique à Mokolo. La seule raison valable pour ne pas y aller était l’école. Au marché j’ai appris beaucoup de choses. Entre autres, embrouiller les clients et prendre soin des marchandises.
Mais surtout, j’ai appris une vérité brutale : un diplôme ne garantissait rien. Surtout pas un « travail de bureau ».

En fait, à Mokolo, mes collègues avaient presque tous les profils. Je voyais des ingénieurs vendre des chemises. Des licenciés compter la monnaie derrière les comptoirs. Des titulaires de master courir derrière les clients pour appâcher. Alors je me disais : si même eux n’ont pas trouvé de place, moi je vais devenir quoi ?

Et quand je leur demandais comment ça se fait qu’ils se retrouvent au marché, la réponse était souvent la même : mon petit, est-ce que j’ai le réseau ?

Et moi justement je n’avais pas de réseau. Dans ma famille, presque tout le monde était commerçant en dehors de deux oncles qui étaient enseignants. Je me demandais comment ne pas finir au marché comme eux, après tant d’études. J’avais une idée en tête : trouver le réseau d’un concours et convaincre mes parents de payer.

Sauf qu’une année on a trouvé un réseau pour le concours des instituteurs. C’était pour l’une de mes sœurs. On a payé mais le jour des résultats son nom n’est pas sorti. Les larmes ont coulé. Le zolo était entré 😎. Ce jour-là, j’ai compris que la terre était sale. Que même pour payer, il fallait avoir le réseau.

Toutes ces petites expériences m’ont amené à perdre espoir dans ma capacité de trouver un quelconque métier de bureau après mes études au Cameroun.

C’est ainsi que le projet d’étudier à l’étranger s’est confirmé. Après, il faut aussi avouer qu’à l’époque c’était à la mode.

Dans mon entourage, les familles envoyaient les enfants en Europe et il fallait faire comme les autres. Sans oublier les mbenguistes qui rentraient en vacances au pays. Mon frère, les gars incarnaient la réussite. Leurs habits, leurs accents et surtout les histoires qu’ils nous racontaient.

Je me souviens encore de l’ami d’un ami qui était revenu d’Italie. J’étais capable de payer le vin aux gars pour qu’ils nous racontent les histoires de Mbeng. Le gars réussissait toujours à placer un mot d’italien ici et là comme une espèce de marque du voyageur. J’entendais presque la musique de ses boîtes de nuit, je voyais les lumières qu’il décrivait. Je buvais ses mots comme la Smooth. Ça me faisait rêver. Il me faisait voyager sans visa.

C’est comme ça qu’après mon baccalauréat en 2008, quand mes amis s’inscrivaient à SOA, Douala, la Catho et MATANFEN, moi j’étais inscrit à Der Erfolg à la carrière. Une école de cours d’allemand. Je préparais le ZiDAF moi. 

J’étais inscrit a SOA pour me couvrir. Il ne fallait pas quand même dire à tout le monde que je cherches le voyage. Quand les gars me demandaient : tu fais quoi ? Je disais que je suis étudiant en SECO à SOA. Pourtant dans ma tête, j’étais déjà en route.

Or quitter l’Afrique ce n’est pas voir bébé. Sans m’en rendre compte je m’étais moi même inoculé le virus de Mbeng. Mais ca c’est une autre histoire. 

Aujourd’hui encore, au Cameroun, pour beaucoup de jeunes de ma génération, partir chez « les blancs » est l’ultime espoir de s’arracher des griffes d’un système qui étouffe les rêves.

Voyager n’est plus seulement un projet personnel, c’est un changement de statut social. Dans l’imaginaire collectif, prendre l’avion suffit à incarner la réussite. Peu importe si tu as de l’argent, peu importe qui tu es ou ce que tu sais faire : le simple fait de partir est célébré.

L’exil est un miroir : il nous renvoie ce qu’on avait mais qu’on ne voyait pas.

Au Cameroun, je n’écoutais pas le bikutsi ni le makossa. Ce n’était pas mon truc. Je préférais Kery James, Sefyu, P-Square, Fally Ipupa, 2Face ou DJ Arafat.

C’est en Ukraine, à des milliers de kilomètres, que Jovi, Charlotte Dipanda, Lady Ponce, Dina Bell et Tom Yoms ont commencé à tourner à fond dans ma playlist. Comme si l’exil avait rallumé une oreille que je n’avais jamais tendue.

Aujourd’hui encore, même si j’habite en France, YouTube me rappelle ma propre contradiction : en 2024, mes artistes les plus écoutés étaient Cysoul, suivi des rythmeurs ABC (pour les vrais connaisseurs 😅).

Je ne suis pas un cas isolé. J’ai l’impression que les gens qui, au Cameroun, n’écoutaient que du rap US se retrouvent en train d’écouter l’assiko et le benskin dans leur salon en France.

Alors je me suis souvent demandé : pourquoi faut-il s’exiler pour apprendre à aimer intensément ce qu’on avait depuis toujours ?

Le week-end dernier, j’ai creusé et je crois avoir trouvé une partie de la réponse : les habitudes.

En fait, nos habitudes — alimentaires, sociales, religieuses, langagières — sont comme des racines. Quand on vit au pays, elles sont tellement naturelles qu’on n’y pense même pas.

Elles sont liées au système de récompense du cerveau : elles créent du confort et nous procurent un sentiment de stabilité. Quand elles disparaissent brutalement, le cerveau le vit comme un sevrage. Leur absence devient douloureuse.

C’est ce qui nous arrive une fois déplacés : on découvre que ce qui nous tenait debout, c’étaient ces petits rituels répétés.

Alors on cherche à compenser, on développe des stratégies d’adaptation en écoutant la musique qu’on n’avait jamais choisie mais qui était tout autour de nous.

L’exil nous apprend que parfois, ce qui nous manque le plus, ce n’est pas le pays. Ce sont nos propres habitudes.

Au Cameroun, la prière de beaucoup de parents quand ils accompagnent leur enfant à l’aéroport, c’est souvent qu’il traverse le poste de douane.

En gros, qu’il arrive quoi.

Comme si le seul fait d’entrer sur le territoire européen était déjà une réussite. Pourtant, cette étape n’est rien devant le véritable challenge que représente l’exil.

Moi, j’ai quitté le Cameroun en novembre 2011. À peine arrivé, je devais commencer l’université.

J’étais enthousiaste. Le premier jour de classe, il faisait -12 degrés à l’extérieur. C’était mon premier hiver, mais à 5h du matin j’étais déjà réveillé… pour un cours qui commençait à 14h.

Hier soir, sur un statut WhatsApp, je suis tombé sur la photo d’une dizaine d’étudiants camerounais valises flambant neuves, sourire accroché au visage et poster de mbenguiste qui venaient à peine d’arriver à l’aéroport de Bruxelles pour poursuivre leurs études.

C’est sûrement l’accomplissement d’un rêve.

Certains ont probablement jeûné pour la demande de visa. C’était peut-être leur premier vol en avion. Leur première fois d’arriver dans un endroit aussi beau et propre.

Je les ai regardés et j’ai souri : j’ai vu mon propre visage d’il y a 13 ans 

Mais je sais aussi ce qui les attend. Ils doivent être surexcités. Mais comme souvent, quelques semaines plus tard, viennent les difficultés du quotidien, les doutes et le mal du pays.

Chaque année, c’est la même chose. on envoie nos jeunes à l’autre bout du monde comme on envoie un colis : sans la moindre préparation. Comme si on les vendait. 

Beaucoup n’ont jamais passé une nuit seuls au Cameroun, mais on les expédie en Europe avec un simple visa et des valises pleines de rêves. Comme si c’était facile. Pourtant, chaque année, on entend parler de la détresse de ces jeunes.

En voyant cette photo, une question m’a frappé :

  • Est-ce que ces jeunes savent seulement où ils sont arrivés ?
  • Qu’aurais-je voulu savoir, moi, à vingt ans, avant de poser le pied ici ?

Je ne parle pas de comment trouver un job ou remplir un formulaire : Google et YouTube débordent déjà de tutos pour ça.

Mais les choses invisibles : L’histoire, la culture et les codes qu’on croit secondaires mais qui décident en réalité de tout. Comprendre pourquoi il faut tenir un budget et comment.  Pourquoi les relations se construisent différemment.

L’immigration telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est une forme moderne de sacrifice des jeunes Africains. Le système et les familles complices créent une grande vulnérabilité. La seule arme, c’est la transmission des codes invisibles.

Alors j’ai pris une décision : écrire.

L’idée est d’écrire à la personne que j’étais il y a 13 ans, quand j’ai quitté le Cameroun. Écrire à ceux qui arrivent aujourd’hui, le cœur battant, persuadés que le plus dur est derrière eux. 

Dire à ces jeunes ce que les jeunes Européens savent, mais qu’eux ignorent. Pas pour qu’ils deviennent des “petits blancs”, Mais pour qu’ils comprennent le comment et le pourquoi des choses.

Parce que personne ne devrait arriver en Europe en tâtonnant comme nous l’avons fait.

Si tu penses que ce texte peut aider quelqu’un que tu connais, partage le. Plus il y aura des personnes intéressés, plus j’aurai la force de transformer cette idée en un vrai guide.

Mes parents : Des commerçants qui croyaient au pouvoir des cahiers

Mes parents ne comptaient pas quand il s’agissait de l’école. Professeur particulier en maths et en physique, école privée, livres et fascicules de tout genre. 

Il suffisait de demander et ils passaient à la caisse sans poser de questions.
C’était presqu’une obsession pour eux. C’est grâce à ce choix qu’aujourd’hui je peux écrire ces lignes. 

Mais avant de parler de l’école, laisse moi te peindre le décor de mon enfance. 

J’ai grandi à Yaoundé, à Kondengui plage. On appelait ça plage, non pas pour le sable fin, mais parce que le quartier était traversé par l’elobie (un marécage). Notre maison se trouvait juste à côté. En saison sèche, on avait une belle vue. Mais quand la pluie arrivait, c’était une autre histoire 😅. 
Nous étions une giga famille : 10 enfants, 2 mères. Sans oublier les tantes et les cousins souvent de passage. 

En période normale on pouvait facilement être 16 personnes dans la maison. Moi, j’étais le 6e enfant de cette équipe bien mélangée. J’ai 4 frères et 4 sœurs. 

Mon père et ma mère étaient tous deux commerçants, au marché de Mvog-Mbi et d’Ékounou. Mon père quittait la maison à 7h et revenait à 20h, sept jours sur sept. Les vacances n’existaient pas. Ma mère aussi travaillait du lundi au dimanche, avec un peu plus de souplesse. Quand j’y pense, presque tout le monde dans ma famille proche et éloignée était commerçant.

Pour mes parents, le succès à l’école était le meilleur chemin vers la réussite. La règle était simple : tu avais droit à quelques plaisirs si tu avais de bonnes notes à l’école. 

Chez nous, les plaisirs, c’était les yaourts Camlait et le Nestlé aux oiseaux avec le pain ✌️. 
Moi, j’étais bon à ce jeu. À l’école primaire, j’étais souvent parmi les premiers de la classe (mes amis du primaire peuvent confirmer 😎). Au lycée, j’étais mal organisé. Je ne travaillais pas assez ou alors uniquement quand c’était nécessaire, genre avant les examens.

Il faut aussi avouer que, comme tout adolescent qui se respecte, j’avais découvert la vie. Je me reposais sur les bases solides que j’avais acquises avant. Mon objectif était d’avoir les notes me permettant de passer en classe supérieure.

J’ai eu la chance d’être bien accompagné pendant tout mon cursus scolaire. Résultat : je n’ai jamais redoublé une classe.

Dans le quartier, j’avais plein d’amis. Notre seule contrainte : rentrer avant la tombée de la nuit. On passait nos journées à jouer dans la cour des maisons jusqu’à épuisement. Le foot, la course poursuite, le ndochi babouche, 1, 2, 3, 4 soleil pour ne citer que ceux là 😂. 

Je n’ai pas toujours eu de cadeaux à Noël, ni fêté mes anniversaires. Mes vacances, c’était soit au village avec mes grands-parents, soit au marché à aider ma famille. Mais j’étais heureux. Plus qu’heureux. 

Quand j’y pense ça me conforte à l’idée que « le confort » actuel en Europe n’est pas l’unique modèle de bonheur. Et que le bonheur n’est pas seulement dans les cadeaux ou les vacances, mais dans la famille, les amies, l’effort et la simplicité.

Ceux qui ont grandi comme moi savent : on n’avait pas tout, mais on avait l’essentiel. Et c’est cet essentiel qui nous a portés jusqu’ici.

On était jeunes, fauchés, amoureux et on l’a fait quand même

En 2017 quand j’ai annoncé à ma mère que je devais me marié, elle était paniquée. Après plusieurs jours d’échanges elle m’a dit : «Raoul est-ce que tu crois que tes enfants vont souvent venir au Cameroun si ta femme n’est pas Camerounaise ».

J’ai compris ses peurs et je l’ai rassuré. Mon père lui m’a dit :  « Raoul, si tu penses que c’est la bonne personne je te suis ». 

Finalement le 29.07.2017, je me mariait à Grenoble. J’ai signé devant le maire sans lire 😅. 
C’était un beau jour ensoleillé. J’étais entouré de mes proches. Mes gars sûres. 
Tout c’était organisé dans la plus grande simplicité. De toutes les façons nous n’avions pas les moyens. À l’époque j’étais en stage de fin d’études. 

Stéphane a payé la salle, Ronel a payé le DJ,  Idriss a ramené son gros SUV pour accompagner les mariés, Guillaume et Éric ont géré la nourriture, Sabine était photographe. Brice a fait les papiers au pays. Martial, Franck, Carole, Elodie, César, Arsène, Tassa, George……

Presque tout le monde a participé. 

Si vous voulez organiser un mariage gratuitement appeler moi 😎. Mais il faut surtout être bien entouré. C’était mon cas. 
Quand j’y repense, je suis nostalgique. Ce jour-là, on était presque heureux. On a fait la mairie, les photos, le vin d’honneur et la soirée. La fête fut belle puis on est rentrés dans notre 20 m² couple de jeunes étudiants. Le mariage passé, la vie a continué 😊.

Autour de moi, une question revenait souvent : Comment as-tu su que c’était la bonne ?

La légende dit que le choix de son/sa partenaire est une des décisions les plus critiques de la vie.
Tellement critique que beaucoup vivent ensemble pendant des années sans jamais franchir ce cap, par peur de se tromper. 
Ils hésitent, se questionnent étudient le dossier et attendent. 

Moi, j’ai décidé de me marier sans attendre d’avoir toutes les garanties. Je n’avais qu’un critère : l’état d’esprit. Et un guide : le feeling.

C’était fou mais sincère. 
La décision de me marier était un mélange de folie et de naïveté. Pourtant quand je regarde dans le rétro et je pense au chemin parcouru je ne regrette rien. 

Pleins de belles choses et aussi beaucoup de challenges. Mais les problèmes c’est pour les Hommes et pour l’instant on est dedans.

Je sais que les histoires que je racontes ici peuvent vous faire croire que je suis immature mais j’ai une petite expérience si vous avez les questions/problèmes de mariage n’hésitez pas à venir poser questions. 

On ne sais jamais 😎. 

Omelettes matin, midi et soir : mes débuts d’expat en Ukraine.

En 2011, quand je suis arrivé en Ukraine, je ne savais rien cuisiner d’autre que des omelettes. Pendant deux semaines, c’est tout ce que j’ai mangé le midi et le soir. 

Un jour décidé à changer de menu, j’ai tenté les spaghettis sautées. J’ai tout acheté, j’ai suivi à la lettre la recette trouvée sur internet. 

Résultat : toute la marmite a fini à la poubelle. 

Trop d’huile, beaucoup trop de sel. Bref c’était immangeable. Une vraie catastrophe. 
Ce jour-là, j’ai compris que si je ne voulais pas finir malade, affamé ou sans un sou, il fallait que j’apprenne à cuisiner. Sérieusement.

Avant l’Ukraine, je n’avais presque jamais mis les pieds dans une cuisine pour faire à manger.
Je viens d’une famille de 10 enfants, avec 3 grandes sœurs et 2 petites.
Chez nous, la cuisine était “l’affaire des femmes”.
Mon job, c’était de laver le salon, de balayer les vérandas. Les marmites, je les regardais de loin 😅.

Mais en Ukraine, sans maman ni sœurs pour me préparer à manger, il fallait que je trouve une solution.
J’avais deux options : manger au restaurant ou trouver une copine qui me ferait à manger.
Mais je n’avais pas d’argent.
Ni pour manger au restaurant.
Ni pour m’offrir le luxe d’avoir une petite amie.
Il fallait donc que je me débrouille. C’était une question de survie.

Quelques semaines après mon arrivée, coup de chance : l’université m’a attribué un colocataire camerounais, Cédric.
Un gars simple, mais un vrai boss en cuisine.
Cédric m’a pris sous son aile.
On a commencé par des classiques : riz sauté, spaghettis sautées, riz sauce tomate.
Petit à petit, j’ai appris.
À doser l’huile. À saler. À ne pas brûler l’eau 😅. Bref, à survivre.

Aujourd’hui, grâce à  l’apprentissage et la pratique. Je peux cuisiner du ndolè, de la banane malaxée, un gratin dauphinois ou des pâtes à la carbonara.

Apprendre à cuisiner m’a sauvé plus d’une fois. Pas seulement pour manger. Mais aussi à impressionner les petites. 

Beaucoup de jeunes quittent le pays sans jamais avoir vécu seuls.
Ils ont toujours été entourés de frères, de sœurs, de cousins et d’amis.
Pour certains, c’est même encore leurs parents qui les réveillent le matin.
Ils pensent que vivre à l’étranger, c’est juste changer de pays ou accéder à de meilleures opportunités.

Mais la vérité, c’est qu’à l’étranger, tu dois tout réapprendre :
Vivre seul.
Te nourrir seul.
Te soigner seul.
Te réveiller seul.

Très peu prennent le temps de réfléchir à l’organisation de la vie quotidienne.
Pour eux, c’est un acquis.
Ils se concentrent sur les prières et les neuvaines pour que Dieu leur donne le visa 😅.
Ils sont très loin d’imaginer que la folie les guette.

Si je peux me permettre un petit conseil : apprenez à doser le sel, à chauffer l’eau et à faire du vélo avant de rêver d’Europe. 

Même si ça peut paraître anodin ça vous évitera de vous empoisonner. 

L'exil

On croit souvent que le voyage commence à l’aéroport. Avec une valise trop pleine, les pleurs des adieux et le contrôle des visas. 
Mais en réalité, il commence bien avant.
Cette idée est d’abord plantée dans la tête et elle finit par s’enraciner dans le cœur.

Pour moi, la graine a été semée en classe de première, par mon grand frère Eric.
Il m’avait dit : "Raoul, si tu as le bac, tu iras poursuivre tes études en Europe."
Même si je ne connaissais rien de l’Europe, c’était pour moi la meilleure chose qui puisse m’arriver. 
Pour mon grand frère, c’était une façon d’élever notre famille.
De changer ma vie, notre vie. Celle de tous les nôtres.

Pour un camerounais, voyager, c’est d’abord rêver.
En novembre 2011, je suis parti.
Et, à vrai dire, je ne suis jamais vraiment revenu.
J’ai construit ici en Europe un projet de vie. Études, travail, femme et enfants.

Mais j’ai parfois l’impression d’être resté là-bas.
Comme si une partie de moi était restée à l’aéroport de Nsimalen le jour du départ.

Jeune diplômé, j’ai longuement nourri l’idée d’y retourner m’installer. Mais très vite d’autres contraintes de poids sont apparues. alors je  me suis rassuré en me disant : Il y’a plusieurs vols par jour entre  Lyon et Yaoundé. 
J’y retournerai quand je voudrai. 

Je suis souvent rentré, une fois par an, deux fois même dans le but de retrouver cette partie de moi. Mais rien.
Quand j’y vais, les premiers jours j’ai l’impression de la retrouver. Il est présent partout: du call box à l’aéroport, a la musique dans les rues en passant par les discussions dans les taxis. 
Pourtant après quelques semaines cette sensation disparaît. 

Je me sent à nouveau incomplet mais cette fois c’est l’Europe qui me tire en arrière comme si elle avait volé une part de moi.
Je suis donc résolu à vivre ici et là-bas.

Ce carnet est né de mes allers-retours entre ces deux mondes.
Entre ce que je vis ici, et ce que je ressens encore là-bas.
Entre ce que je montre et ce que je garde.

Il est pour ceux qui sont partis.
Pour ceux qu’on a fait naître ici.
Et pour ceux qui rêvent encore de venir.