BAC + 5 : La victoire inachevée

En 2017, je présentais mon rapport de stage de fin d’études dans mon université à Annecy.

Quelques années auparavant j’avais quitté mon pays pour aller étudier en Europe. Et finalement j’avais obtenu le fameux diplôme. Le Bac + 5.

C’était pour moi l’aboutissement de 6 longues années pendant lesquelles je courais nuit et jour entre job étudiant, vie sociale et études. Ce diplôme était la raison pour laquelle je supportais toutes les difficultés du quotidien. Je me disais souvent : “Raoul, le plus important c’est ton diplôme. Le reste là, c’est rien.”

Ce jour-là, j’étais content, je ressentais une petite sensation de liberté, un gros milestone comme on dit. Mais en même temps, j’avais la boule au ventre. En fait, mon titre de séjour devait expirer 3 mois après et je devais trouver une raison de squatter le territoire français.

Le Cameroun me manquait, mais malgré toutes les difficultés en France, je n’avais pas prévu de rentrer m’y installer. Je devais donc trouver une couverture pour ne pas me retrouver sans papiers.

Pour la petite histoire, tous les étudiants camerounais en France ont un titre de séjour étudiant. C’est ce document qui leur permet de rester légalement sur le territoire français. À la fin des études, ils doivent changer de titre de séjour.

Et c’est souvent là où l’acteur meurt dans son film. À la fin des études, chaque étudiant camerounais avait le droit de demander l’APS (Attestation Provisoire de Séjour). Un titre de séjour de 6 mois renouvelable une fois. Ce titre de séjour permettait de trouver du travail ou de créer une entreprise sous certaines conditions.

Le problème est qu’en tant que jeune diplômé, le monde du travail ne t’attend pas les bras ouverts et souvent 1 an ne suffit pas pour trouver un travail en lien avec ton diplôme ou créer une entreprise. Pour ne pas se retrouver en situation irrégulière, de nombreux étudiants se lancent dans des schémas compliqués.

Sans jugement !

J’ai vu certains gars faire 3 masters, d’autres se marier avec des gens qu’ils n’aimaient pas, ou bien même faire des enfants. Sans oublier les étudiants qui se transforment en réfugiés en fin de parcours.

En tout cas, beaucoup se compromettent. Renient leurs valeurs allant souvent même jusqu’à la déshumanisation pour avoir leurs papiers. Sur le coup, on ne réalise pas souvent l’impact de ces décisions pour la suite de nos vies.

Dans chaque parcours migratoire, il y a une violence silencieuse, une pression psychologique, un sacrifice et une solitude dont les histoires romancées des réussites des "mbenguistes" ne mentionnent jamais. Mais ces réussites sont elles synonymes d’épanouissement ? 

Aujourd’hui, avec du recul, je réalise que le visa étudiant n’était pas seulement un accès aux études universitaires. C’était une porte. Une porte vers l’inconnu, vers les choix difficiles, vers les compromis parfois douloureux.

Ce parcours m’a appris que l’exil n’est pas qu’une question de papiers, c’est une question de dignité, de résilience et de rêves qu’on refuse d’abandonner.

À tous ceux qui arrivent vers ce tunnel, je vous dis : tenez bon. Gardez vos rêves intacts. Ne laissez pas le système vous voler votre humanité. Et surtout, n’oubliez jamais pourquoi vous êtes partis.