L’exil est un miroir : il nous renvoie ce qu’on avait mais qu’on ne voyait pas.

Au Cameroun, je n’écoutais pas le bikutsi ni le makossa. Ce n’était pas mon truc. Je préférais Kery James, Sefyu, P-Square, Fally Ipupa, 2Face ou DJ Arafat.

C’est en Ukraine, à des milliers de kilomètres, que Jovi, Charlotte Dipanda, Lady Ponce, Dina Bell et Tom Yoms ont commencé à tourner à fond dans ma playlist. Comme si l’exil avait rallumé une oreille que je n’avais jamais tendue.

Aujourd’hui encore, même si j’habite en France, YouTube me rappelle ma propre contradiction : en 2024, mes artistes les plus écoutés étaient Cysoul, suivi des rythmeurs ABC (pour les vrais connaisseurs 😅).

Je ne suis pas un cas isolé. J’ai l’impression que les gens qui, au Cameroun, n’écoutaient que du rap US se retrouvent en train d’écouter l’assiko et le benskin dans leur salon en France.

Alors je me suis souvent demandé : pourquoi faut-il s’exiler pour apprendre à aimer intensément ce qu’on avait depuis toujours ?

Le week-end dernier, j’ai creusé et je crois avoir trouvé une partie de la réponse : les habitudes.

En fait, nos habitudes — alimentaires, sociales, religieuses, langagières — sont comme des racines. Quand on vit au pays, elles sont tellement naturelles qu’on n’y pense même pas.

Elles sont liées au système de récompense du cerveau : elles créent du confort et nous procurent un sentiment de stabilité. Quand elles disparaissent brutalement, le cerveau le vit comme un sevrage. Leur absence devient douloureuse.

C’est ce qui nous arrive une fois déplacés : on découvre que ce qui nous tenait debout, c’étaient ces petits rituels répétés.

Alors on cherche à compenser, on développe des stratégies d’adaptation en écoutant la musique qu’on n’avait jamais choisie mais qui était tout autour de nous.

L’exil nous apprend que parfois, ce qui nous manque le plus, ce n’est pas le pays. Ce sont nos propres habitudes.