L'exil

On croit souvent que le voyage commence à l’aéroport. Avec une valise trop pleine, les pleurs des adieux et le contrôle des visas. 
Mais en réalité, il commence bien avant.
Cette idée est d’abord plantée dans la tête et elle finit par s’enraciner dans le cœur.

Pour moi, la graine a été semée en classe de première, par mon grand frère Eric.
Il m’avait dit : "Raoul, si tu as le bac, tu iras poursuivre tes études en Europe."
Même si je ne connaissais rien de l’Europe, c’était pour moi la meilleure chose qui puisse m’arriver. 
Pour mon grand frère, c’était une façon d’élever notre famille.
De changer ma vie, notre vie. Celle de tous les nôtres.

Pour un camerounais, voyager, c’est d’abord rêver.
En novembre 2011, je suis parti.
Et, à vrai dire, je ne suis jamais vraiment revenu.
J’ai construit ici en Europe un projet de vie. Études, travail, femme et enfants.

Mais j’ai parfois l’impression d’être resté là-bas.
Comme si une partie de moi était restée à l’aéroport de Nsimalen le jour du départ.

Jeune diplômé, j’ai longuement nourri l’idée d’y retourner m’installer. Mais très vite d’autres contraintes de poids sont apparues. alors je  me suis rassuré en me disant : Il y’a plusieurs vols par jour entre  Lyon et Yaoundé. 
J’y retournerai quand je voudrai. 

Je suis souvent rentré, une fois par an, deux fois même dans le but de retrouver cette partie de moi. Mais rien.
Quand j’y vais, les premiers jours j’ai l’impression de la retrouver. Il est présent partout: du call box à l’aéroport, a la musique dans les rues en passant par les discussions dans les taxis. 
Pourtant après quelques semaines cette sensation disparaît. 

Je me sent à nouveau incomplet mais cette fois c’est l’Europe qui me tire en arrière comme si elle avait volé une part de moi.
Je suis donc résolu à vivre ici et là-bas.

Ce carnet est né de mes allers-retours entre ces deux mondes.
Entre ce que je vis ici, et ce que je ressens encore là-bas.
Entre ce que je montre et ce que je garde.

Il est pour ceux qui sont partis.
Pour ceux qu’on a fait naître ici.
Et pour ceux qui rêvent encore de venir.